Le Fils de l’homme, Jean-Baptiste Del Amo

Ne me demandez pas pourquoi j’ai ouvert ce bouquin. Je n’en sais fichtrement rien et crois que je suis tombée dessus en traînant ma vieille carcasse à la bibliothèque municipale. Le titre me disait sans doute quelque chose suite à une apparition dans La Grande Librairie. Bref, j’ai trouvé cette histoire malheureusement bien ennuyeuse et étouffante. Cette dernière émotion peut être produite par un livre haletant, mais ce n’est pas le cas ici.

Résumé

Le Fils de l’homme, c’est l’histoire, racontée par un narrateur omniscient, du retour du père auprès de la mère et du fils. Aucun des trois protagonistes n’a de prénom. Le récit débute par une marche interminable de la famille reconstituée vers la cabane du père, nichée dans les montagnes et difficilement accessible. S’en suivent des retours en arrière réguliers : l’origine modeste des personnages, comment le père revient alors que son fils se souvient à peine de lui, l’histoire d’amour entre les deux jeunes parents, la violence de ce père dans sa jeunesse et surtout l’origine de cette violence, à savoir celle de son propre père à qui la cabane appartenait.

Cette figure paternelle maigre, sauvage et rude dessine des couleurs déjà très sombres tout au long du roman. Mais le tout s’assombrit encore plus lorsqu’on découvre que la mère fréquentait le meilleur ami du père pendant ses années d’absence – de prison, vraisemblablement – et qu’elle est tombée enceinte de lui. Mais le père – pas du bébé ! – décide d’élever celui-ci comme son propre enfant…dans la montagne. La grossesse se passe mal, le père refuse de descendre en ville pour les soins nécessaires et la mère meurt à l’accouchement. Le fils s’enfuit alors avec le bébé.

La transmission de la violence paternelle

Paru en 2021, Le Fils de l’homme fait suite au bien nommé Règne animal de 2016 dans son traitement de la violence intrafamiliale. Lors de ses interviews au sujet du roman dont il est question ici, l’auteur affirme toujours sa volonté de raconter la transmission de la violence de père en fils. C’est pourquoi tout commence par une longue scène – bien chiante – rédigée en italique de chasse d’une tribu sauvage. La violence nécessaire à la survie du groupe est décrite sans détour mais avec un style que je qualifierais de pesant. Quant au tir final du fils qui abat le gibier, il apparaît comme le résultat du bon enseignement du père.

Et par un effet miroir, l’auteur enchaîne avec la longue marche en milieu sauvage et hostile que doit réaliser la petite famille pour atteindre la baraque perdue du père…et du défunt grand-père. La violence masculine semble alors immuable et ancestrale, une sorte de constance qui existerait depuis la nuit des temps et renverrait à notre passé d’homo sapiens obligé de lutter physiquement pour survivre avant sa sédentarisation et l’avènement des premières civilisations. Cette loi de la nature est énoncée avec d’autant plus de force que le récit ne nomme pas ses personnages. Le père devient alors tous les pères et le fils tous les fils.

Dans ce roman on-ne-peut-plus sombre et oppressant, l’histoire se répète et la violence paternelle se transmet de façon naturelle et irrémédiable, même si tout le monde a conscience d’en souffrir atrocement. Le père lutte pour ne pas devenir la brute qui l’a élevé et qu’il a fuie. Il revient et veut devenir un papa modèle qui emmène son fils à la fête foraine. Raté : le petit s’ennuie ostensiblement. Dans un acte de bonté ultime et revendiquée comme telle, il prend la décision d’élever comme son propre enfant le fruit de la trahison de sa compagne avec son meilleur ami…mais selon ses propres conditions. Hors de question pour lui de ramener sa compagne souffrante à la civilisation pour consulter un médecin, reproduisant ainsi l’attitude de son propre père qui s’est battu contre l’administration afin de conserver la propriété de sa petite cabane de montagne et exclure ainsi sa famille de la vie en société. Résultat : une naissance dans un bain de sang.

La faible lueur d’espoir ne s’allume qu’au dénouement, lorsque le fils a l’immense courage de partir seul avec le bébé dans les bras, traversant cette forêt qu’il a tant explorée tout au long de l’intrigue. Après l’effroi causé par la tragédie de l’accouchement, ces dernières pages bouleversantes m’ont mis les larmes aux yeux.

Mais en attendant cette éventuelle cassure du cercle vicieux de la violence, la transmission de celle-ci de père en fils fait bien des dégâts et par un terrible effet boule de neige, la violence de l’un semble faire redoubler celle de l’autre.

« – la ville n’ayant jamais été que le décor de sa revanche puis de ses dommages collatéraux –, pour rattraper le temps qu’il estimait avoir perdu là-haut, sous l’autorité inflexible, annihilante de son géniteur. » (p. 129)

Ce qui nous amène tout naturellement à mon second point, puisqu’à l’échelle de l’humanité toute entière, la transmission de la violence paternelle est à l’origine de la masculinité toxique que nous pouvons observer chez tant d’hommes.

Un bon exemple de masculinité toxique

Malsain, violent depuis toujours et antisocial, le père est un très bon exemple de masculinité toxique – toxique d’abord envers lui-même, soit dit en passant. En voici le portrait :

« le brun tempétueux, hirsute, indomptable, toujours prêt à donner du poing à la sortie des bars et à cracher son propre sang.

Le père semblait être descendu de la montagne avec la seule perspective d’en découdre avec la ville » (p.128)

Tous les gens qui ont grandi à la campagne connaissent bien ce profil, friand de ces activités ultra genrées dirait-on aujourd’hui, et qui permettent d’assouvir ses pulsions de mort.

« de beuveries, de bals de village battant dans la nuit comme un cœur secret, de règlements de comptes à la lueur sale de lampadaires ou d’aubes avinées, de courses au volant de 405 GTI, de Polo G40 (parfois d’Audi Quattro ou de Toyota MR2 volées) sur les routes en lacets des cols de montagne, phares jetant leur lumière crue tantôt sur des falaises abruptes, tantôt sur des blocs d’obscurité vertigineux. » (p. 128)

La liberté à tout prix, au détriment de sa vie et si possible en pourrissant celle des autres. Une belle définition de la masculinité toxique.

« vivre dangereusement […] tenter le diable. C’était l’idée qu’il se faisait de la liberté, de son affranchissement, et c’était peut-être avec la vie, tout compte fait, qu’il voulait en découdre » (p. 128-129).

Lorsque le père était jeune, lui et sa bande de copains appliquaient tous les codes de la masculinité exacerbée. Or celle-ci fascinait un peu tout le monde, ce que je trouve très caractéristique de la masculinité toxique – comment pourrait-elle faire autant de mal si elle ne séduisait pas ? Sans compter la dimension protectrice de la figure paternelle. Avant d’être père, il veillait sur ses amis. Pour étendre la réflexion, je dirais que la société, et plus particulièrement les femmes – certaines femmes, on sait ! – acceptent cette masculinité toxique car elles sont envoûtées par l’illusion de protection qu’un homme violent peut leur apporter.

« veillant sur ceux de sa bande avec une affection fraternelle, presque amoureuse. Ils débarquaient en ville, horde de petits dieux arrogants, querelleurs, se moquaient des règles, du qu’en-dira-t-on, animés d’une force de vie qui, aux garçons comme aux filles du coin, semblait extraordinairement enviable. » (p. 184)

Un style pompeux qui bloque les émotions

Malgré la forte émotion ressentie à la lecture de certains passages, je suis bien obligée de dire que je n’ouvrirai plus un livre écrit par Jean-Baptiste Del Amo. En effet, sa langue est terriblement prétentieuse du début à la fin. Pour bien saisir la lourdeur d’une écriture qui détourne le lecteur de l’identification à l’histoire et à ses personnages, voici la description du tapis de jeu de l’enfant. Je vous épargne les étalages d’érudition sur les noms latins des insectes ou encore sur les noms des oiseaux qui entourent l’enfant dans la montagne. Ne me remerciez pas.

« le rectangle du tapis lui apparaît comme une fenêtre ouverte sur une autre réalité figurant un quartier ou un lotissement, ou même une petite ville avec ses parcelles bâties de pavillons à toit rouge et murs jaunes – les maisons inclinées en arrière pour dévoiler leurs façades paisibles, ajourées de larges fenêtres à croisillons –, ses routes anthracite aux marquages réguliers dont les lignes et les jonctions à angle droit se répètent et forment un parfait agencement géométrique – le tapis, originellement vendu à la découpe, répète par deux fois un motif identique –, ses passages piétons, ses bordures d’arbres vus du ciel, représentés par un semblable moutonnement vert, mais aussi son centre commercial et sa caserne de pompiers. » (p. 88)

Une telle description a pour but de montrer la capacité de l’enfant à s’évader dans un imaginaire protecteur, ici matérialisé par un tapis. Son réel est sordide – « le quartier ouvrier avec ses voieries défoncées, ses maisons défraîchies, ses containers à poubelles qui déversent leur haleine aigre dans la solitude des arrière-cours, son terrain vague cabossé semblable à un champ de mine, parsemé de détritus, de crottes de chiens et de tessons de bouteille » (p. 88) – et la ville du tapis semble réconfortante d’ordre et de tranquillité.

Soit. On comprend l’idée ; elle est touchante en soi, et une grande partie du roman retranscrit des épisodes d’évasion mentale et physique de l’enfant jusqu’à sa fuite salvatrice. Ayant été moi-même une enfant solitaire dans un milieu violent, Le Fils de l’homme aurait pu entrer dans mon panthéon des romans bouleversants. Et bien disons que si certaines pages résonnent profondément avec mon expérience personnelle, la prétention et la lourdeur du style, et plus précisément des choix sémantiques, font obstacle à la transmission des émotions. Pour une fiction qui traite de sujets comme la violence paternelle et l’enfance, c’est plus que dommage !

La communion avec la nature

Terminons tout de même sur une note positive. En plus du dénouement déjà évoqué plus haut, certains passages de communion entre le fils et la nature m’ont beaucoup plu. Je ne saurais dire si c’est le cas malgré la lourdeur du style ou si la beauté de ce qui est décrit fait oublier cette langue si pesante. Toujours est-il que les longues escapades du petit garçon dans la forêt m’ont particulièrement touchée car je pense – si ma mémoire est bonne – avoir vécu des moments similaires pendant mon enfance.

« Il songe confusément aux vies qui s’y consument au même instant et en tous lieux, sachant […] que des êtres innombrables se meuvent animés par cette force mystérieuse et péremptoire qu’est la vie, et qui pulse en chacun d’eux.

 Il sent aussi, inexplicablement, le grand mouvement qui les entraîne tous, lui compris, imperceptible, pourtant vertigineux, à travers le temps et à travers l’espace, toutes vies mêlées, hommes et bêtes, et avec eux les pierres, les arbres, les astres ignées.

De ces instants, il gardera le souvenir d’une épiphanie, la conviction d’avoir été frappé par la véritable nature des choses, qu’aucune langue, aucun mot ne saurait dire » (p. 132)

Être seul au milieu de la nature, rien de tel pour se sentir vivant. Ici, le personnage ressent une communion avec le reste de l’humanité, paradoxalement grâce à la force de sa solitude au contact de la terre. Cette analyse n’est absolument pas une banalité, mais relève d’une expérience aussi concrète que puissante et à la portée de tous.

Et puis il y a cette proximité avec les animaux. Ils représentent un idéal de liberté et une façon d’échapper aux deux seuls êtres humains que l’enfant est forcé d’interagir. Là encore, le passage suivant résonne avec ma propre passion pour les animaux et la genèse de celle-ci.

« L’enfant retourne néanmoins voir les chevaux. Leur présence tranquille, indifférente, est un contrepoint à celles de la mère et du père. […]

Il songe qu’il pourrait rester parmi eux, ne jamais regagner les Roches. Ne dit-on pas qu’il existe des enfants élevés par des loups ? Mais il faudrait pour cela abandonner la mère à l’emprise du père, et il se résout toujours à regagner la maison.

Pour un temps, même bref, quand il somnole dans les herbes auprès du troupeau, il s’imagine galoper parmi eux, n’avoir d’autre besoin, d’autre aspiration, que cette liberté placide, la temporalité mystérieuse, filandreuse, de la montagne, où rien n’a de début ni de fin, où les choses paraissent avoir toujours été ce qu’elles sont et n’être menacées d’aucun anéantissement. » (p. 174-175)



Une réflexion sur “Le Fils de l’homme, Jean-Baptiste Del Amo

  1. Ping : Le fils de l’homme, Jean-Baptiste Del Amo – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

Laisser un commentaire