Hélium, tome 2 : L’escalier de lumière

C’est la deuxième fois que je contribue à une opération Masse Critique de Babelio. Et c’est la deuxième fois que je fais la découverte d’un bouquin plutôt agréable à lire, et que je n’aurais jamais ouvert en temps normal. En plus d’avoir été publié dans une petite maison d’édition – Maïa -, ce roman confidentiel n’est a priori pas mon genre. Il suffit de parcourir ce blog pour constater que je lis peu de romans historiques, et aucun fantastique. Ceci étant dit, je donne la moyenne à ce roman haletant malgré son aspect trop érudit à mon goût. Petite précision : pas besoin d’avoir lu le tome 1 pour comprendre.

L’histoire est des plus intrigantes. Nous sommes en 1869, à Paris. Joseph Mainpleine a dix ans et son père travaille pour le baron Haussmann. Au début du récit, le garçon rejoint le présent après une disparition de 24 heures dans un autre espace-temps. Il y aurait fait la rencontre de Charlemagne lors du siège de Pavie en 774. À son réveil, les investigations démarrent pour savoir ce qu’il s’est passé avec ce fameux Escalier de Lumière emprunté par cet enfant dès qu’il est exposé au soleil.

L’enquête se poursuit tout au long de sa vie d’adulte à travers les nouvelles expérimentations et découvertes plus ou moins scientifiques de cette époque. De l’hypnose pratiquée par Charcot au sein de la Salpêtrière aux premiers balbutiements de la théorie de l’inconscient développée par Freud en passant par le spiritisme très en vogue à cette époque, le cheminement de Joseph plonge le lecteur dans les méandres de l’Histoire de la pensée, entre science et surnaturel. Sans parler du concept des trous noirs qui vient d’apparaître en astrophysique !

Bref, le lecteur est assommé par tant de science, et se dit que c’est le prix à payer quand on ouvre un livre écrit par un médecin. Mu par une déformation professionnelle, Éric Mahias emporte le lecteur dans la frénésie de découvertes de cette fin du XIXe siècle à travers les pérégrinations de Joseph et de ses proches pour savoir ce que l’homme-esprit – cette espèce de sosie de lui-même qui apparaît lors de ses voyages dans le temps – essaye de lui dire depuis le futur où il se trouve…

Mais l’érudition qui se déploie dans Hélium : L’escalier de lumière est à la fois sa force et sa faiblesse.

Un roman historique passionnant

Commençons par le positif, car après tout, j’ai aimé ce roman historico-fantastique. Il m’a d’ailleurs rappelé que je ne lisais pas suffisamment d’ouvrages historiques. Ceci dit, les romans dont l’action se déroule dans le passé ont toujours une valeur historique hautement instructive, à l’instar de Nana de Zola. Ici, j’ai lu certains passages avec beaucoup d’intérêt, comme ceux relatifs au professeur Charcot. En tant que féministe, et depuis l’immense succès du Bal des Folles de Victoria Mas – que je n’ai pas lu –, je suis restée bouche bée face à la description des conditions d’incarcération des femmes diagnostiquées hystériques et soi-disant traitées par ce médecin. Voici le spectacle qui s’offre aux yeux de Joseph et de sa mère lorsqu’ils entrent pour la première fois dans l’effrayante Salpêtrière.

« De l’extérieur, le lieu n’inspirait pas d’appréhension particulière. La stupeur qu’éprouva Madeleine une fois le portail franchi s’avéra d’autant plus brutale. Le délabrement des bâtiments la percuta directement au bas-ventre. Sa douleur s’amplifia encore lorsque des dizaines de pauvres femmes, pour la plupart édentées et échevelées, remontèrent vers elle des sentiers de la cour principale en traînant des pieds. Là s’étalait toute la misère du monde. Ces femmes vivaient dans un dénuement à peine imaginable. En comparaison, une mendiante de rue aurait presque pu passer pour une bourgeoise. » (p. 104)

Bien évidemment, ce n’est là qu’un infime volet de cette fin de siècle bouillonnante de découvertes dont nous récoltons les fruits aujourd’hui encore. Quelle joie d’être transportée le temps d’une lecture dans une époque où ces nouveautés que nous considérons comme admises – à l’instar de l’inconscient, concept de la psychanalyse freudienne, ou des avancées de l’astrophysique –, n’en étaient qu’à leurs premiers balbutiements. L’excitation de ceux qui avaient la chance de les toucher du doigt – soit une infime partie de la population française, rappelons-le – est plutôt bien transmise pendant toute l’intrigue, et l’atmosphère de foi en l’avenir à l’opposé de celle d’aube de fin du monde dans laquelle nous baignons est contagieuse. Rien que pour ça, merci à Eric Mahias ! Par exemple, je me voyais très bien à la fameuse exposition universelle de 1889, au milieu d’une foule grouillante dont le regard ne manque pas de se lever vers cette étrange dame de fer provisoire.

Mais il y a un mais.

Des passages rébarbatifs

De la même manière que l’épopée fictive à travers un siècle d’innovations déterminantes comporte des passages enthousiasmants, j’ai trouvé d’autres passages terriblement longs et ennuyeux. Eric Mahias est médecin avant d’être écrivain, et son bagage scientifique est à double tranchant. Il est à l’origine d’une grande érudition dans divers domaines scientifiques, avec une curiosité contagieuse qui se déploie tout au long du roman. Mais le revers de cette profusion d’informations pour le lecteur se caractérise par certains passages interminables. Il en va de même pour le style. Clinique, il nous épargne la moindre envolée lyrique, mais le factuel pousse le récit dans un écueil : l’ennui dû à l’abondance d’informations.

C’est le cas notamment des longues pages décrivant les péripéties vécues par le père de Joseph au cours de la guerre franco-prussienne. Les détails techniques de la défaite à une bataille, puis la multiplicité des informations géographiques lors de sa fuite après avoir été constitué prisonnier par l’ennemi, sans compter les faits militaires sur l’avancement dans la capitale des Prussiens victorieux…tout cela entraîne une surdose pour le lecteur. Je me suis demandé quand cela allait-il finir, et pourquoi en raconter autant sur ce point historique si ce n’est pour se faire plaisir ou, pour le dire plus vulgairement, étaler sa confiture. L’intrigue n’avance pas autant que le père de Joseph, elle n’avance pas du tout même. Bref, je garde un souvenir très désagréable de ces longues pages dispensables.

Dans une moindre mesure, je citerais également celles qui racontent la longue préparation des séances de spiritisme finales, avec une description des protagonistes qui relève plutôt du curriculum vitae que du portrait littéraire. On ne s’improvise pas romancier quand on est médecin, car je le répète : ce qui est une qualité peut aussi se transformer en défaut.

Une atmosphère d’amour qui parcourt le récit du début à la fin

L’amour est le premier élément qui rayonne dans ce roman intitulé Hélium. Du papa brillant et bienveillant aux femmes qui entourent le personnage principal, l’amour est omniprésent. Il transcende le livre par sa simplicité et sa constance. Le clan Mainpleine reste soudé dans cette épreuve de recherche de la Vérité, et Joseph le leur rend bien. Tout ce petit monde est travailleur et mène une existence que nous, comme pervertis par la société du loisir et de l’image, pourrions qualifier d’ennuyeuse. Ambition, travail et amour résument la vie de Joseph Mainpleine. La quête de guérison et de découverte semble linéaire malgré les embuches, et la souffrance des « malaises » du jeune homme est surmontée par la force que lui apporte son entourage – que ce soit sa mère, sa femme, ses amis, ou encore sa nourrice d’une douceur absolue.

« Au service des Mainpleine depuis près de trente ans, […] elle avait de l’affection pour chacun d’entre eux, du plus grand jusqu’au plus jeune. Jusqu’au plus jeune…Pierre [N.D.R. le fils de Joseph] ! Il allait bientôt se réveiller ! […] Augustine le contempla un instant, repensant aux heures tendres qu’elles avait passées à s’occuper de Joseph, vingt-trois ans plus tôt. […] Pour caresser la paume de sa main, elle tendit un doigt qu’il saisit prestement et ne voulut plus abandonner. Du fond de sa couche, le petit Pierre la regardait, ne voyant plus qu’elle. Elle aussi ne voyait que lui. Ces instants étaient sa seule consolation de vieille fille. » (p. 157)

Et au paragraphe suivant, on retrouve une autre expression d’un amour pur et bouleversant dans sa simplicité. Depuis que Joseph a rencontré Amélie, une infirmière adorable et intelligente, dans le cadre de ses visites à la Salpêtrière, ils filent le parfait amour. Et cette expression galvaudée par le langage de la mauvaise presse actuelle prend tout son sens avec cette tranche de vie au réveil :

« Il ne vit d’abord que la main d’Amélie reposant joliment  sur sa robe de soie mauve. À chaque respiration, la main s’avançait d’un demi-centimètre, allant imperceptiblement à sa rencontre pour reculer d’autant quelques secondes plus tard. Son regard s’attarda sur chaque doigt – sans réfléchir il les compta, une fois à l’aller, une fois au retour –, remonta les deux veines bleues qui fuyaient sur le poignet pour se cacher derrière le tissu satiné, suivit les plis de soie jusqu’à l’épaule et finit par se perdre dans les boucles brunes et la blancheur translucide de son cou. Son aimée reposait là […] » (p. 157)

J’ajoute que contrairement à la croyance populaire selon laquelle la douceur des parents vis-à-vis de leurs enfants serait une invention moderne de bobos fragiles, les marques d’affection de parent à enfant ont toujours existé. De même que la violence intrafamiliale perdure, les familles aimantes ne sont aucunement le produit des avancées en matière de pédopsychiatrie, mais d’une transmission de génération en génération. Les Mainpleine en sont la preuve.

« elle lui releva le menton d’un index un peu trop vigoureux. L’enfant la regarda, incrédule et inquiet, et une larme roula sur sa joue ronde. Posant son chiffon de cuisine, sa mère s’agenouilla et, lui caressant la pommette, effaça le léger sanglot d’un doux revers de main.

– Oh, mon pauvre chéri, je suis désolée. Je n’en ai pas après toi […]

Allez, au dodo maintenant. Ton père viendra te border dès qu’il arrivera.

Pierre tendit les bras : un câlin était obligatoire si elle devait obtenir son pardon ! Amélie ne se fit pas prier. Elle adorait ces moments de complicité avec son fils. Elle le serra fort et longtemps […] » (p. 176)

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