Le Retour au pays natal, Thomas Hardy

406 p.

Ressource principale pour le résumé et quelques éléments de commentaires :

https://en.wikipedia.org/wiki/The_Return_of_the_Native

À noter que je n’ai pas repris l’interprétation, très pertinente, du grand admirateur de Hardy qu’était D.H. Lawrence. J’en recommande toutefois la lecture.

 

Rien de tel qu’un classique de la littérature anglaise pour inaugurer ce nouveau blog entièrement consacré à la littérature. Petite précision : j’ai lu ce livre en version originale. Le vocabulaire employé pour parler de l’œuvre est donc le mien, et non celui que j’aurais pu rencontrer au fil d’une lecture en français. Peut-être correspond-il à la traduction du livre, peut-être pas !

Pour l’anecdote, j’ai décidé de lire ce roman suite à une référence de Holden Caulfield, héros de L’Attrape-cœurs de J.D. Salinger.

Éléments clefs

  • Dans la Préface, Hardy situe l’intrigue historiquement entre 1840 et 1850. Celle-ci se déroule toutefois sur une période d’un an et un jour.
  • D’abord publié en 1878 comme feuilleton dans le magazine à sensation Belgravia, le roman peine à se faire éditer à cause de ses thèmes sulfureux pour l’époque. Il n’en deviendra pas moins un grand classique au XXe siècle.

Résumé par « Livre »

Livre 1 : Les trois femmes

Tout commence par une longue description de Egdon Heath, la terre qui accueillera toute l’intrigue, un paysage à la fois toile de fond, personnage principal du roman et miroir de l’humanité qu’il abrite. D’après les spécialistes de Hardy, Egdon Heath serait inspiré du paysage du comté de Dorset, où l’écrivain a grandi.

L’histoire commence pendant la Guy Fawkes Night. Cet événement organisé le 5 novembre célèbre l’anniversaire de la Conspiration des poudres et ainsi l’échec de l’attentat de 1605 sur le roi Jacques Ier, planifié par Guy Fawkes et 11 autres conspirateurs catholiques.

Diggory Venn traverse lentement la lande avec sa carriole tirée par des poneys et abritant Thomasin Yeobright. Venn, alias « l’homme au rouge », parcourt la région pour marquer à  l’ocre rouge les moutons des paysans. De par son métier, il en est donc recouvert de la tête aux pieds. Ce même jour, la jeune et douce Thomasin devait épouser Damon Wildeve, un aubergiste volage de la région. Malheureusement, le mariage est annulé pour cause d’autorisation de mariage non valide. Thomasin est au plus mal et demande à Venn, toujours amoureux d’elle deux ans après l’avoir courtisée, de la raccompagner à Bloom’s End chez sa tante Mme Yeobright. Cette dernière, une femme aussi droite que fière, s’était publiquement opposée au mariage. Elle souhaite toutefois réparer l’honneur désormais bafoué de sa nièce et s’assurer, avec l’aide du dévoué Venn, que Wildeve tiendra parole.

Or celui-ci n’a pas cessé de voir Eustacia Vye, une belle rêveuse solitaire et passionnée qui habite avec son grand-père dans une maison isolée de Egdon Heath. Parfait opposé de la très sage Thomasin, Eustacia a grandi à Budmouth, station balnéaire très en vogue, et méprise les habitants de la lande qui le lui rendent bien puisque certains la considèrent même comme une sorcière. Cette défiance vis-à-vis de son environnement ne l’empêche pas d’errer nuit et jour à travers la lande et de l’observer munie d’une longue vue et d’un sablier. Tandis que sa passion pour Wildeve avait atteint son paroxysme avant de s’étioler naturellement l’an passé, celle-ci s’est tout aussi naturellement réveillée lorsque le jeune homme a commencé à courtiser Thomasin. « Suis-moi, je te fuis. Fuis-moi je te suis. » ou l’adage des âmes déraisonnables.

Le portrait des trois femmes ainsi brossé, ce livre s’achève sur une brève entrevue des deux amants au cours de la Guy Fawkes Night. Wildeve demande à Eustacia de partir en Amérique avec lui, offre qu’elle laisse en suspens dans un premier temps.

Livre 2 : L’arrivée

Comme l’indique le titre de l’ouvrage – avec toutefois un changement de perspective par rapport au titre original, l’enfant du pays est de retour. Il s’agit de Clym, le fils de Mme Yeobright, qui rentre de Paris où il exerçait la très lucrative profession de marchand de diamants. Or le jeune homme n’a aucune envie de repartir et déclare être rentré pour devenir maître d’école et faire quelque chose d’utile, par opposition à toute la vacuité de sa profession et de la vie parisienne à laquelle il a goûté. Malgré ces velléités peu prestigieuses, Eustacia tombe amoureuse du jeune homme, ou plutôt de ce qu’il représente pour elle : un ailleurs bien plus palpitant que cette horrible lande. La jeune rêveuse s’arrange alors pour le rencontrer et le jeune homme est lui aussi sous le charme. Lorsque Clym annonce à sa mère vouloir épouser Eustacia, Mme Yeobright s’y oppose. Cette dernière se brouille alors avec son fils et l’amante de celui-ci.

Livre 3 : La fascination

Rejeté par Eustacia, Wildeve épouse quant à lui Thomasin. Clym fait de même avec Eustacia malgré le refus de sa mère. Le jeune couple emménage alors dans une petite maison assez éloignée où Clym passe son temps à étudier en vue de réaliser sa nouvelle vocation.  La rancœur d’une Eustacia qui avait placé en son mari tous ses espoirs d’échapper à la lande fait rapidement suite à une brève période de bonheur conjugal. Comme si cela ne suffisait pas, les nombreuses heures de travail intellectuel acharné endommagent  sévèrement les yeux du jeune marié. Celui-ci décide alors de devenir tailleur d’ajoncs, soit un véritable cauchemar pour son épouse, qui passe de l’idéal d’une vie excitante dans une ville de rêve au cauchemar d’être mariée à un vulgaire travailleur des champs.

Livre 4 : La porte fermée

C’est à ce moment-là que Wildeve réapparaît dans la vie d’Eustacia et devient d’autant plus séduisant à ses yeux qu’il vient de toucher un gros héritage. Un après-midi d’août à la chaleur écrasante, le jeune homme rend visite à son ancienne maîtresse à son domicile, alors que Clym se repose dans la pièce adjacente. Un drame se produit. Mme Yeobright, décidée à faire la paix, frappe à la porte après une longue marche pénible sous une chaleur harassante. Or par le seul fait d’un quiproquo, Eustacia n’ouvre pas à sa belle-mère. Cette dernière, consciente que les deux époux étaient bel et bien présents lors de sa visite, reprend le chemin du retour épuisée et pleine de chagrin.

Livre 5 : La découverte

Clym, ignorant tout de cet épisode, se met en route pour Bloom’s End avec lui aussi la ferme intention de se réconcilier avec sa mère. Il retrouve alors celle-ci sur le bord du chemin, souffrante à cause d’une morsure de serpent. Elle meurt quelques heures plus tard des suites de la morsure et d’un coup de chaleur, laissant un fils rongé par un remord qui le plonge dans la maladie pendant plusieurs semaines. Eustacia quant à elle ne lui dévoile rien de l’épisode de la porte fermée. Lorsque Clym finit par tout découvrir grâce à un enfant des environs, il accuse sa femme d’adultère et de meurtre. Celle-ci refuse de lui expliquer la situation et lui reproche sa cruauté avant de retourner vivre chez son grand-père, où elle désespère que son mari lui fasse signe.

Wildeve lui rend à nouveau visite pendant la Guy Fawkes Night – soit un an jour pour jour après la scène d’ouverture du roman – et lui propose de l’aider à partir pour Paris. Eustacia, consciente qu’une acceptation l’obligerait à devenir sa maîtresse, se laisse le temps de la réflexion et prie le jeune homme de se rendre chez elle s’il aperçoit un signal de sa part la nuit même à travers la lande. Ce soir-là, Clym dépasse enfin sa colère et fait parvenir à Eustacia une lettre qui malheureusement arrivera trop tard. La jeune femme au caractère sauvage a déjà émis un signal à Wildeve et marche en larmes, consciente de l’immoralité de son acte, à travers une lande secouée par un violent orage pour rejoindre son amant.

Tandis que celui-ci, ayant aperçu le signal, prépare ses chevaux et sa voiture, Thomasin devine son intention de rejoindre Eustacia et envoie son cousin pour l’en empêcher. Par un heureux hasard, elle rencontre également Venn sur son chemin. C’est alors qu’ils entendent le bruit d’un corps trébuchant dans le barrage. Clym et Wildeve perçoivent le même bruit et se précipitent pour sauver Eustacia. Ils sont inéluctablement pris dans le courant d’une rivière déchaînée par les intempéries avant que Venn ne réussisse à tirer les trois corps de l’eau. Seul Clym est vivant.

Livre 6 : Épilogue

Venn abandonne son métier d' »homme au rouge » pour celui, plus respectable et lucratif, de producteur laitier. Il épouse Thomasin deux ans plus tard. Clym se considère comme le meurtrier de deux femmes et devient prédicateur itinérant. Ses prêches traitent de sujets moraux irrécusables et sont reçues partout avec bienveillance puisque son histoire est connue de tous.

Commentaires

Comme évoqué en préambule de cet article, ce roman traitant du thème de l’adultère était donc très sulfureux lors de sa sortie dans l’Angleterre victorienne. La force de cette œuvre réside dans l’alliance parfaitement équilibrée de thèmes modernes – le conflit entre les désirs et volontés individuels d’une part et la société d’autre part – et d’une structure classique. Le maigre Livre 6 ayant été ajouté pour contenter les lecteurs du feuilleton avec un happy end, le roman suit le découpage en cinq actes d’une tragédie classique. Hardy respecte également la règle de l’unité de temps, de lieu et d’action et finit par mettre à mort ses personnages victimes de leur hybris. En plus de multiplier les références bibliques et mythologiques, cette tragédie romancée a pour décor une lande sauvage, à peine domptée par l’homme et portant en elle les vestiges d’un passé antique. Hardy a même introduit dans son roman une sorte de chœur « décalé » composé d’habitants de la lande plutôt comiques et au langage populaire.

Comme toutes les grandes œuvres, celle-ci a une portée universelle et intemporelle. Regardez cette femme orgueilleuse prête à tout pour échapper à un environnement qu’elle estime « pas assez bien pour elle ». Cette jeune femme libre, trop libre, qui erre seule dans la lande en pleine nuit, lit énormément, rêve de Paris et entretient des relations adultères n’est-elle pas avant tout, et de manière encore plus virulente, rejetée par les autres femmes ? Mme Yeobright l’estime indigne d’épouser son fils et la mère d’un petit garçon du village tente à deux reprises de l’éliminer, persuadée d’avoir à faire à une sorcière responsable du mauvais état de santé de son bambin. On peut même envisager, compte tenu du destin funeste d’Eustacia, l’efficacité de l’utilisation juste avant sa noyade d’une poupée vaudou à son effigie par cette maman inquiète. La liberté individuelle, à plus forte raison s’il s’agit d’une femme, bridée par la morale et les croyances d’une société reste un thème « vieux comme le monde ». Par ailleurs, il n’est pas étonnant que Holden Caulfield, lui aussi épris de liberté et de fuite vis-à-vis de la société, déclare apprécier Le Retour au pays natal.

J’ai à titre personnel été frappée par la modernité de la situation de Clym Yeobright. En effet, le jeune homme est revenu – au sens propre comme au figuré – de la grande ville à la mode, à l’époque capitale du monde, de ses vanités, du superficiel de ses rapports humains et de l’absence de sens de son métier pourtant si lucratif. Le voilà dans sa lande natale avec pour principale ambition d’instruire le peuple. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Tous ces jeunes cadres en CDI qui « plaquent tout » pour faire un tour du monde, devenir boulangers, restaurateurs, travailleurs dans l’humanitaire et autres métiers modestes, mais surtout « utiles » à leurs yeux, ne seraient-ils pas les Clym Yeobright du XXIe siècle ? Et si marchand de diamants était l’ancêtre du fameux bullshit job ? Il reste certes sans commune mesure avec ces nombreux « métiers à la cons » que notre société moderne a enfanté, car la tâche du marchand de diamants a le mérite d’être parfaitement intelligible. Mais il n’en demeure pas moins que le sentiment exprimé par Clym à l’égard de son ancienne profession évoque celui de ces jeunes surdiplômés en quête de sens.

Impossible de clore cette section « Commentaires » sans parler du véritable personnage principal du roman : la lande. Et pour cause, celle-ci est un miroir de l’humanité. La longue description du décor au chapitre 1 évoque la permanence de la condition humaine. Il parle d’une végétation, d’un sol, d’une couleur même, à peine modifiés par le temps. Ceux qui, comme Clym Yeobright, aiment sincèrement la lande et comprennent ainsi instinctivement la soumission de l’homme à la nature, se verront épargnés par la mort. En revanche, l’orgueil d’une Eustacia qui s’y ennuie et la rejette en y voyant une prison à l’encontre d’un destin à ses yeux supérieur sera puni par les éléments déchaînés.

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