La Petite Foule, Christine Angot

Je suis rentrée dans l’univers Angot en 2018 – malheureusement avant la création de mon blog – avec Un amour impossible. J’ai été bouleversée par l’humiliation d’un homme de bonne famille exercée sur une femme issue d’un milieu modeste, mais surtout par la relation fusionnelle entre une maman célibataire et sa fille. Publié un an avant ce roman, La Petite Foule n’a strictement rien à voir avec celui-ci. Dans ce recueil de nouvelles, l’autofiction est très peu présente – même si on devine une inspiration autobiographique pour quelques (très) rares textes.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : le livre m’est tombé des mains. Ces tranches de vie narrées dans le célèbre style Angot, dépouillé à l’extrême, n’ont pas éveillé chez moi le moindre intérêt ou initié un semblant de processus d’identification. Mais comme je suis une bloggeuse consciencieuse, je me suis forcée. Voici quelques nouvelles sur lesquelles mon esprit s’est arrêté.

« L’animatrice de télévision » alias la queen

Dans cette nouvelle d’une page et demi, Angot nous offre une saynète où règnent manipulation subtile et hypocrisie très « show-biz » entre un écrivain et une animatrice de télévision. Au maquillage, le premier transpire le mépris pour la seconde, tandis qu’elle lui fait part de toute son admiration pour son travail avant d’entrer sur le plateau d’une émission littéraire où elle va présenter son premier livre. Les regards lancés dans le miroir sont éloquents et annoncent discrètement le jeu de dupes qui se trame. Sur le plateau, il fait un éloge exagéré du livre de l’animatrice dans le but d’obtenir un joli renvoi d’ascenseur de la part d’une personnalité si grand public. Mais la professionnelle des médias, de l’image et…des coups de poignard dans le dos…c’est elle : l’éloge retour n’aura pas lieu. L’arroseur-arrosé s’est vu récompensé de tout son mépris qu’il n’a visiblement pas su dissimuler, et j’ai trouvé ce court texte assez jouissif.

« D’un côté, il admire la manœuvre, mais d’un autre, dans le taxi du retour, il se sent sale. Il arrive chez lui et, quand il voit son reflet dans le miroir de l’ascenseur, il se trouve ridicule dans sa petite chemise cintrée. » (p. 116)

« Le fêtard » ou la fin de partie

Une page pour mimer la vie courte et intense du fêtard. Un paragraphe pour raconter un réveillon où le jeune homme fait l’andouille avec sa verge. Un autre pour nous dire que le temps qui passe sonne le glas. Ce bon vivant connaît une fin de partie subite – la longévité de Keith Richards vient rappeler le caractère individuel et non général de ce cas. Il va bientôt mourir d’un cancer du foie qui a évolué en cancer du pancréas. Le diagnostic est volontairement irréaliste – « il n’en a plus que pour quelques jours, peut-être quelques heures. » – pour mieux faire ressortir la brutalité de la chute d’un homme. « Il n’avait pas compris que ça allait être aussi rapide, alors il dit d’une toute petite voix :

— Ah bon !? » (p. 157)

« L’élégant » tourné en ridicule

Angot dresse ici le portrait d’un homme obsédé par le paraître – un thème récurrent dans ces morceaux de vie – qui se complique la vie pour flatter son ego. En effet, « il jouit de sa distinction, mais uniquement si elle est reconnue de certains et ignorée des autres » (p. 172). Un état d’esprit pas très élégant, donc. Dans son mépris de l’argent, auquel tiennent tant ceux qui n’ont pas le vrai pouvoir, il se pose en intellectuel qui appartient à la seule élite qui vaille : celle de la pensée. Issu d’un milieu privilégié sur ce plan, il est d’un mépris sans borne pour les riches. On sent bien que la vie ne lui a jamais offert l’occasion – et qu’il ne l’a jamais cherchée non plus – de remettre en cause le système de valeurs dans lequel il a été élevé.

« Ceux dont le pouvoir ne tient qu’à la richesse sont pour lui des enfants un peu perdus, qu’il se désole, et plaint, de voir désorientés quand ils se retrouvent dans son milieu. » (p. 173)

Mais attention, la sophistication que cultive Monsieur surprend.

« Son élégance va jusqu’à être ému de la vulgarité des autres » (p. 173)

Même s’il cultive cette élégance et (sentiment d’) appartenance à une « aristocratie », celle-ci semble bel et bien cloisonnée et comme définie par la naissance. Impossible d’y accéder. L’exclusion est sans appel et le mépris que l’élégant transpire est cruel. Paradoxalement, il confond mépris et rejet de la cruauté dans ses réactions.

« « le pauvre !… » dit-il de celui qui s’évertue en pure perte à travailler son comportement pour se faire intégrer, alors que le combat est perdu d’avance, il faudrait être cruel pour ne pas s’attrister de son échec puisqu’on ne peut évidemment pas être dupe de tant d’efforts qui deviennent émouvants d’être désespérés. » (p. 173)

Mais attention, l’élégant veut tellement entretenir sa singularité – fantasmée, bien évidemment – qu’on tombe dans l’absurde. Personnellement, je n’y comprends plus rien. Ainsi il se déplace en métro et possède fièrement un passe Navigo, non pas parce qu’il n’a pas les moyens de prendre une voiture avec chauffeur, mais parce que « contrairement à ceux qui s’imaginent être dans la masse quand ils sont dans les transports en commun, lui s’y distingue, n’ayant pas besoin de se détacher de la foule pour ne pas y être assimilé. » (p. 174)

Dieu merci, sa vanité ne passe pas en société et le ridicule ne s’arrête pas à l’analyse de sa posture. Il pousse le culte de son individualité à un tel paroxysme qu’il « déclare sans importance » (p. 174) les codes sociaux qu’il ne maîtrise pas. Trop difficile et avilissant de tenter de s’y conformer. Il est donc peu apprécié et suscite le malaise. Les conventions, très peu pour lui, il est bien au-dessus de la masse. Ce qui permet à la nouvelle de terminer la nouvelle sur une note d’humour :

«  s’il est convié à une fête d’anniversaire comme il n’a jamais d’idée de cadeau, eh bien il n’en fait pas. » (p. 174)

« La femme coupée en deux » ou la chute après le baiser

Voici une nouvelle particulièrement bien écrite et originale. Lors d’une soirée, une femme est embrassée par un homme. Je n’avais jamais lu une description aussi précise et presque clinique d’un (premier) baiser. Certaines images m’ont laissée sceptique, comme les lèvres comparées à « des petits poissons vivants » (p. 176), mais la chute est parfaitement inattendue et explique le titre si poétique.

« il n’y a que sa bouche qui soit ouverte et que son sexe est fermé » (p. 177)

« L’avocat qui dicte son courrier » ou la dose d’humour

Plusieurs textes ne manquent pas d’humour et contrairement à certaines histoires qui sont issues d’un travail d’observation de la part de l’auteure, d’autres semblent inventés pour le plaisir de nous distraire. C’est le cas ici. Tandis que l’élégant agace et que sa sophistication est très réaliste, l’avocat nous fait sourire et la situation relève du burlesque.

« le seul moyen qu’il a trouvé pour ne pas perdre de temps en dictant son courrier à sa secrétaire, c’est qu’elle le prenne en sténo le matin, pendant qu’il est aux toilettes, debout devant la porte fermée » (p. 189)

Dernier rappel : ne lisez pas La Petite Foule, c’est une perte de temps.



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